Longtemps négligé chez l’enfant, le traitement de la douleur en anesthésie pédiatrique est pourtant un point clé dans la prise en charge chirurgicale de votre enfant. Les difficultés d’évaluation de l’intensité de la douleur chez l’enfant de moins de 5 ans et les craintes d’un surdosage médicamenteux expliquent probablement le retard dans le traitement de la douleur postopératoire de l’enfant.
L’intensité de la douleur post-opératoire dépend essentiellement du type de chirurgie. Elle est maximale en post-opératoire immédiat et décroît au fur et à mesure que l’on s’écarte de la chirurgie. Votre enfant ne quittera la clinique que lorsqu’il sera complètement soulagé par un traitement compatible avec le retour à domicile.
Pour que la douleur ne revienne pas, il est indispensable de poursuivre tous les antalgiques qui lui ont été prescrits même s’il ne se plaint de rien et ce pendant 24 heures minimum, voire de façon plus prolongée pour les chirurgies douloureuses (circoncision, hypospadias, amygdalectomie,…).
Une recrudescence de la douleur après un traitement jusque-là efficace, doit faire évoquer la levée d’une anesthésie locorégionale (infiltration pariétale, blocs tronculaires, rachianesthésie) ou la survenue d’une complication post-opératoire qui doit être recherchée.
Lors de la consultation d’anesthésie pédiatrique préopératoire, le médecin anesthésiste, vous-même et votre enfant (dès que ce dernier est en âge de le faire) décideront du protocole qui sera mis en place pour soulager la douleur.
Celui-ci dépend essentiellement de l’intensité de la douleur attendue en post-opératoire. Il comporte très souvent une anesthésie locorégionale (ALR) le plus souvent réalisée une fois que l’enfant est endormi. Cette anesthésie locorégionale permet d’insensibiliser la zone opérée pendant plusieurs heures. L’enfant a alors moins besoin d’anesthésie pendant la chirurgie et moins d’antalgiques après la chirurgie et est donc moins exposé aux risques de survenue d’effets secondaires liés à l’administration des anesthésiques et des antalgiques.
Lorsqu’elle est réalisable, l’anesthésie locorégionale utilisant des produits à longue durée d’action permet de couvrir la quasi-totalité des besoins post-opératoires. L’analgésie résiduelle (traitement insuffisant ou trop court) est généralement assurée par l’association paracétamol + AINS qui a pour avantage d’être extrêmement bien tolérée.
Les différents actes d’anesthésie locorégionale réalisée en anesthésie pédiatrique
Les analgésiques doivent être administrés de façon systématique.
En effet, il est généralement beaucoup plus simple d’empêcher que la douleur revienne que de la faire disparaître.
En dehors de l’amygdalectomie qui peut faire mal pendant plusieurs jours, la durée des phénomènes douloureux après les actes de chirurgie courante dépasse rarement quelques heures. L’analgésie post-opératoire fait le plus souvent appel à la combinaison de plusieurs antalgiques dont le mode d’action est différent.
L’analgésie post-opératoire fait le plus souvent appel à la combinaison de plusieurs antalgiques dont le mode d’action est différent.
Prise en charge de la douleur aiguë en anesthésie pédiatrique ambulatoire
Les antalgiques non morphiniques (Palier I)
Ils sont prescrits d’emblée et à dose maximale. Il est inutile et dangereux d’augmenter la dose. Si l’analgésie est insuffisante, il faut administrer un antalgique de niveau 2. Si aucun autre médicament vous a été prescrit, il faut vous assurer avant d’administrer quoi que ce soit, qu’il n’y a pas de contre indication avec le caractère post-opératoire de la douleur (aspirine contre indiquée du fait du risque de saignement) ou qu’il ne s’agit pas à nouveau d’AINS ou de paracétamol.
Paracétamol (Doliprane, dafalgan, efferalgan,…)
C’est un antalgique (diminue la douleur) et un antipyrétique (abaisse la fièvre) couramment utilisé dans le traitement des douleurs de faible intensité chez l’enfant. La voie intraveineuse n’est pas plus efficace que la voie orale. En revanche, la voie rectale est inappropriée pour un soulagement rapide de la douleur . Il faut en plus doubler la dose pour obtenir une concentration sanguine comparable à celle de la voie orale, ce qui fait prendre un risque de surdosage en paracétamol.
Le paracétamol est prescrit à la dose de 60 mg/Kg/24h répartie en 4 prises (soit 15 mg/kg toutes les 6 heures). A cette dose, il n’a quasiment aucun effet secondaire. Attention des cas d’hépatites graves pouvant conduirent au décès ont été rapportés pour des posologies de 100 à 150 mg/kg/24h. Plus de 140 spécialités pédiatriques contiennent du paracétamol. Il convient donc, pour éviter tout risque de surdosage, de vérifier l’absence de paracétamol avant d’administrer tout autre médicament que ceux prescrits lors de la sortie.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)
Ils sont très efficaces dans de nombreuses chirurgies et généralement très bien tolérés. Ils sont plus efficaces que le paracétamol dans le traitement des douleurs post-opératoires faibles à modérée. En cas de douleurs intenses, les AINS permettent de diminuer les besoins en morphine de 20 à 60%. L’innocuité de l’association la fait très fréquemment prescrire en post-opératoire.
L’acide niflumique (Nifluril) est très couramment utilisé en France à la dose de 40 mg/kg/24 h répartis en 2 prises (Soit ½ suppositoire à 400 mg matin et soir pour 10 kg de poids) ainsi que l’ibuprofène administré à la dose de 30 mg/kg/24h répartis en 3 ou 4 prises (Advil 1 dose/kilo toutes les 6 heures). La faible concentration du médicament dans le sang après mise en place d’un suppositoire doit également lui faire préférer une forme orale dès que possible.
Bien qu’il n’existe pas en France d’AINS administrables par voie intraveineuse chez l’enfant de moins de 15 ans, le Kétoprofène (Profénid) est couramment utilisé chez l’enfant de plus de 1 an à la posologie de 3 mg/kg/24h en 3 prises.
La prise d’AINS au décours d’une amygdalectomie majore le risque de saignement. Dans les autres indications, il n’y a pas de risque de complications hémorragiques.
Les antalgiques morphiniques (palier II et III)
Ce sont les antalgiques prescrits pour calmer les douleurs post-opératoires modérées (palier II) à intenses (palier III).
Les antalgiques de palier II (Morphiniques faibles) regroupent essentiellement la codéine et le tramadol
La codéine (Codenfan) est largement prescrite en pédiatrie à la posologie de 0,5 à 1 mg/kg, 4 à 6 fois/24h. Son pouvoir antalgique étant faible, elle doit être associée au paracétamol (Efferalgan codéiné, Codoliprane,…) et aux AINS. Le foie transforme la codéine en morphine grâce à une enzyme qui n’existe pas chez certains individus. Chez ces personnes, la codéine est inefficace. Aux doses thérapeutiques, les effets indésirables sont rares et modérés (nausée, vomissements, somnolence) .
Le tramadol (Contramal, Topalgic) est utilisé chez l’enfant à partir de 1 an à la posologie de 8 mg/kg/24h en 3 à 4 prises (posologie maximale 400 mg/24h même si le poids est supérieur à 50 kg) soit 1 goutte/kilo, 3 fois/24h. Le tramadol est plus efficace que le paracétamol mais moins efficace que la nalbuphine. Ces effets secondaires sont dominés par la survenue de nausées et de vomissements.
Les antalgiques de palier III regroupent les agonistes antagonistes (Nalbuphine - Nubain) et les morphiniques forts (morphine, oxycodone, hydromorphone, fentanyl)
La nalbuphine (Nubain) est très fréquemment utilisée en anesthésie pédiatrique dans toutes les chirurgies douloureuses car très bien tolérée en dehors de nausée et de vomissement. Les effets sédatifs sont plus marqués que ceux de la morphine ce qui peut être un avantage lorsque la chirurgie nécessite une contention de l’enfant du fait de l’existence de cathéters ou de dispositifs de drainage (hypospadias, RVU, …). L’administration intraveineuse ne nécessite aucune surveillance respiratoire chez l’enfant en bonne santé. Elle est prescrite d’emblée à dose maximale. Elle peut insuffisante en cas de chirurgie très douloureuse et il faut alors recourir à la morphine.
La morphine est le médicament de référence du traitement des douleurs post-opératoires intenses. Elle est associée aux antalgiques de niveau 1 afin de réduire les doses de morphine nécessaire et la fréquence des effets secondaires. Lorsqu’elle est administrée en intraveineux, elle peut nécessiter la surveillance en soins intensifs afin d’évaluer l’efficacité du traitement antalgique et son retentissement respiratoire et hémodynamique notamment chez l’enfant fragilisé ou chez l’enfant de moins de 6 mois. La morphine peut être administrée par voie orale ou par voie intraveineuse. Contrairement à la nalbuphine, l’efficacité de la morphine est dose-dépendante. Le traitement des douleurs intenses fait appel à l’administration répétée de bolus intraveineux de morphine jusqu’à ce que l’enfant soit soulagé (titration morphine). Ensuite, le relais est pris soit par une analgésie autocontrôlée (PCA), soit par une administration intraveineuse continue, soit par une administration par voie orale à intervalles fixes de 4 heures.
La PCA (patient controlled analgesia) est une technique qui permet l’autoadministration de petites doses de morphine (bolus) grâce à un bouton poussoir afin d’empêcher que la douleur revienne. Ces faibles doses ne permettent pas de calmer une douleur forte. Il est donc important que l’enfant appuie sur le bouton dès qu’il sent que la douleur revient. En cas d’appuis intempestifs ou par erreur, il existe une période de sécurité après chaque demande de nouvelle dose pendant laquelle il est impossible de recevoir le médicament. Cette période de sécurité permet d’éviter les risques de surdosage. Le surdosage en morphine entraîne d’abord une somnolence puis une diminution de la respiration qui peut aller jusqu’à l’arrêt respiratoire si l’administration de morphine se poursuit. Lorsque l’enfant est le seul à appuyer sur le bouton-poussoir, la survenue d’une telle complication est impossible puisque l’administration de morphine cesse quand l’enfant s’endort. L’administration de morphine peut également s’accompagner de constipation, de nausées et vomissements, de prurit et de rétention d’urine qui doivent être prévenus et traités.
L’utilisation d’une PCA en anesthésie pédiatrique est possible dès que l’enfant est capable de s’auto-évaluer (en général à partir de 4 à 6 ans). C’est la technique de choix en post-opératoire car elle permet au mieux d’ajuster les doses aux besoins du patient. Une fois le fonctionnement de la PCA expliqué et compris par l’enfant, il faut se garder de faire tout commentaire concernant sa consommation. Lorsque l’enfant est petit ou en post-opératoire immédiat, il est possible d’ajouter, en plus des bolus, un débit continu de morphine qui permet à l’enfant d’éviter d’être réveillé en permanence mais ce mode d’administration expose davantage au risque de surdosage et de complications respiratoires et impose une hospitalisation en surveillance continue.
L’administration orale de morphine (sirop ou comprimé) est une modalité intéressante chez l’enfant. Les doses habituellemnt prescrites sont de 0,2 mg/kg toutes les 4 heures. par voie orale
Dans les chirurgies très lourdes (chirurgie abdominale majeure, chirurgie thoracique, chirurgie orthopédique), la morphine peut également être administrée par voie péridurale (voie périmédullaire) ou par rachianesthésie (voie intrathécale) à la recherche d’une analgésie prolongée (18 à 36 h après une injection unique) et de très bonne qualité. Les risques de dépression respiratoire imposent la surveillance en soins intensifs pour une durée de 24 h après la dernière injection. Les effets secondaires sont identiques à ceux observés lorsque la morphine est injectée par voie intraveineuse.
La surveillance d’un traitement par la morphine nécessite le recueil régulier des scores de douleurs et de sédation (avant toute stimulation du patient), de la fréquence respiratoire et de l’existence d’effets secondaires (nausée, vomissement, démangeaisons, rétention urinaire, constipation). La constipation est constante après 48h de traitement. Elle est prévenue par la prescription de laxatifs (lansoyl, Duphalac, forlax). Les nausées et vomissements sont prévenus par l’administration de primpéran, de zophren ou de droleptan dans la PCA. La rétention d’urine peut être levée par l’injection de petits bolus de Naloxone (Narcan 0,5 à 1 mcg/kg toutes les 5 minutes jusqu’à miction). Dans les chirurgies lourdes, une sonde vésicale est souvent mise en place pendant l’intervention. Les démangeaisons sont également traitées par l’administration de faibles doses de naloxone.
La complication la plus grave est la survenue d’un arrêt respiratoire secondaire à un surdosage en morphine. L’arrêt respiratoire ne peut survenir qu’après une somnolence importante qui doit être systématiquement recherchée à l’aide d’une échelle de sédation. Une fréquence respiratoire en dessous des seuils d’alerte doit conduire à une surveillance rapprochée de l’enfant, à l’arrêt transitoire du traitement voire à l’administration d’un antidote (Narcan).
Echelle de sédation
Seuils d’alerte de la fréquence respiratoire