Les troubles de la vision de l’enfant sont le plus souvent asymptomatiques.
Or, la vision se développe durant les premières années de vie, période de plasticité cérébrale ou période « sensible » du développement visuel.
Pendant cette période, toute anomalie va perturber le développement visuel, de manière d’autant plus profonde et définitive que cette anomalie survient précocement et qu’elle persiste longtemps. Par contre sa découverte précoce permet d’en limiter les conséquences sous traitement adapté réalisé le plus tôt possible durant la période sensible.
Le dépistage systématique par des manœuvres simples, d’anomalies du développement visuel permet d’en assurer un diagnostic précoce, puis un traitement précoce.
Le trouble le plus fréquent est « l’amblyopie », véritable cécité monoculaire (parfois binoculaire) par non-apprentissage visuel. Sa fréquence a déjà diminué considérablement grâce à la mise en place de dépistages précoces et de traitements adaptés durant la période sensible.
Développement de la vision de l’enfant
La vision, phénomènes sensoriel de « voir » n’est pas limitée à la seule acuité visuelle. Elle associe différentes fonctions complémentaires ;
L’acuité visuelle (AV), vision centrale, précise, sous tendue par l’activité de cones fovéolaires
Le champ visuel (CV), vision périphérique, peu précise mais sensible aux mouvements, aux contrastes, vision « d’alerte », sous tendu par l’activité de la grande majorité des photorécepteurs extra fovéolaires
La vision des couleurs, ou chromatique, activité photopique, sous tendue par l’activité des cones
La vision des contrastes, activité scotopique, sous tendue par l’activité des
bâtonnets
La vision Stéréoscopique (VS), extrême degré de spécialisation de la vision. Elle permet, grâce à la superposition par le cortex visuel (zone du cerveau), de deux images fovéolaires vues sous un angle à peine différent (espace interpupillaire), d’obtenir une image en relief. Elle nécessite une bonne acuité visuelle de chaque œil, et un réflexe sensorimoteur dit « de fusion », qui verrouille les deux axes visuels de manière simultanée sur l’objet visuel d’intérêt. C’est la fonction visuelle la plus perfectionnée, mais aussi la plus fragile. Elle aide une activité gestuelle fine dans l’espace sous contrôle visuel.
Une vision spécialisée comme celle que nous avons décrite nécessite une oculomotricité (« regarder ») très développée permettant d’attirer rapidement le regard vers l’objet visuel d’intérêt (saccades oculomotrices) puis de maintenir le regard sur celui ci malgré les mouvements relatifs du corps et de l’objet afin d’en permettre une analyse fine (fixation, poursuite).
La vision et l’oculomotricité se développent durant les premières années de vie.
On peut schématiser en disant qu’à la naissance, l’enfant à deux yeux prêts à voir, mais le cortex va apprendre à s’en servir progressivement, grâce à l’expérience visuelle du monde qui l’entoure.
La période sensible de développement visuel varie selon les fonctions visuelles considérées. Elle est fondamentale durant les six premiers mois de vie mais s’étale jusqu’à l’age de 10 ans.
Plus l’enfant grandit, plus les acquis (ou les pertes) se « figent ». Par l’examen, on peut dire très simplement si ce développement s’effectue normalement, voire même donner un age visuel, au même titre qu’il existe un calendrier du développement psychomoteur.
On conclut à une vision normale ou non pour l’âge considéré à partir de la connaissance des étapes du développement visuel :
*Naissance : l’enfant perçoit les lumières et réagit en conséquence : ouverture des yeux en ambiance lumineuse douce, fermeture voire cris en ambiance lumineuse agressive. Les réflexes photomoteur et consensuel sont présents. L’oculomotricité est encore anarchique.
*1er trimestre : Développement de la fovéa et de la vision centrale fine, donc de l’AV. Elargissement du CV. Régulation progressive de l’oculomotricité. Apparitions des réflexes de fixation et de poursuite oculomotrice. Harmonisation des mouvements binoculaires.
*2e trimestre : Apparition de l’accommodation et des mouvements de vergence, d’abord mal coordonnés (strabismes intermittents). Apparition de la fusion binoculaire.
*6 mois : Liaison réflexe de l’accommodation et de la convergence permettant le développement de la vision rapprochée et la fusion.
La vision stéréoscopique est quasi mature dès 6 mois, permettant la préhension et la perception de formes de plus en plus complexes : taille, distances, volumes, perspectives.
L’AV est de 2/10.
*Par la suite : Les fonctions visuelles s’affinent. Chaque élément et son développement aide les acquisitions psychomotrices.
- Acquisition de la station debout et de la marche sous contrôle visuel.
- Découverte du « pile ou face » (10 mois).
- Mémoire visuelle.
- Pensée figurative (perception visuelle et image mentale).
-Ecriture, lecture ...
*Vers 4 à 6 ans : AV mature (10/10).
Moyens d’évaluation de la vision de l’enfant
Variables selon l’âge et le développement psychomoteur. L’examen s’appuie sur des tests « objectifs », ne nécessitant que peu de coopération de l’enfant : on observe la réponse visuelle à un stimulus donné.
_ Chez l’enfant « préverbal » (<2.5 ans).
*Tests simples, de dépistage :
-Observation du comportement visuel spontané :
Réflexe Photomoteur et consensuel (naissance).
Comportement visuel : Intérêt normal pour l’entourage.
Exploration et utilisation normale de l’espace.
Oculomotricité harmonieuse : mouvements de poursuite d’un objet, par saccades avant 3 mois, régulière après.
Examen de la fixation : les deux yeux doivent fixer de manière stable un objet. Si on le rapproche, cela déclenche un mouvement de convergence (4-6-mois).
-Recherche d’une anomalie majeure par des examens simples :
Eliminer une anomalie oculaire majeure : Examen ophtalmologique des milieux transparents par l’étude simple du reflet pupillaire à l’ophtalmoscope, normalement orange homogène (# photo au flash).
Dépister une amblyopie unilatérale : Test de l’écran ou du bandeau : gêne évidente à l’occlusion d’un œil et non de l’autre.
Dépister un strabisme : Test de l’écran alterné ou étude des reflets pupillaires ou de la lueur pupillaire.
*Tests spécialisés, réalisés au moindre doute et dans les cas « à risque » :
-Etude de la vision :
Mesure de l’AV du bébé par test du regard préférentiel (test de Teller ou « Bébévision » …). Ne donne pas vraiment d’AV mais dépiste surtout les différences entre deux yeux et l’évolution, d’un examen à l’autre => réservé à des cas particuliers et non au dépistage de masse. Nécessite un personnel entraîné et apte à contrôler le résultat.
Examen de la vision du relief au test de Lang +++ : très bon examen dès 6 mois mais surtout après 1 an. Une réponse franchement normale permet de savoir que l’enfant a une stéréoscopie donc pas d’amblyopie profonde, ni de strabisme constant.
Tests prismatiques (biprisme). Utile en dépistage général mais nécessite un apprentissage.
En cas de doute, des examens spécialisés, réalisés parfois sous sédation, permettent dans presque tous les cas de savoir si l’enfant y voit (nystagmus optocinétique, Potentiels evoqués visuels, Electrorétinogramme…).
-L’examen est complété par un examen ophtalmopédiatrique complet.
Chez l’enfant verbal : après 2.5 ans
On peut apprécier la vision par des tests « subjectifs », nécessitant et dépendant de la participation de l’enfant. Une réponse anormale doit toujours être vérifiée avant de conclure.
Tests adaptés à l’âge : dessins puis « E » de Snellen, puis lettres.
Après apprentissage.
Vision de loin, de près, mono puis binoculaire.
Tous les éléments de la vision peuvent être testés comme chez l’adulte : AV, CV…
Penser au dépistage du Daltonisme (1garçon/10).
Quand dépister ?
Aux moments clefs du développement visuel, quand un traitement risque de limiter une évolution péjorative. Ce dépistage doit être intégré dans l’examen pédiatrique courant et ne comporte que des tests simples.
*1er mois : éliminer les malformations ou anomalies majeures
Examen de la lueur pupillaire +++
Examen ophtalmologique sommaire.
Etude des perceptions lumineuses
*9e mois : dépistage du strabisme et des amblyopies majeures
Comportement visuel global.
Test de l’écran
Reflets pupillaires
+/- Test de Lang, et tests prismatiques
*2-4 ans : dépistage des troubles visuels de réfraction ou d’apparition secondaire
Mêmes tests
Et acuité visuelle
*Ensuite : à la demande, selon les signes fonctionnels.
Le moindre doute doit faire réaliser un bilan ophtalmologique spécialisé.
Qui dépister ?
*Tous les enfants car l’amblyopie unilatérale est asymptomatique (5 à 10% de la population). Les examens sus décrits suffisent à dépister la majorité des problèmes à un age ou leur traitement est encore possible.
*Mais attention aux enfants à risque :
Antécédents familiaux de lunettes, maladies ophtalmologiques, strabismes.
Prématurité < 32 SA
Souffrance neurologique néonatale.
=> Faire un contrôle ophtalmologique à 9 mois et 3 ans
Qui réalise le dépistage ?
Chez un enfant sans antécédents particuliers :
*Avant tout le médecin traitant ou pédiatre, par des gestes simples
*En cas de doute, une vérification de l’état visuel peut être réalisé par un orthoptiste, sur demande du médecin traitant
*En cas de doute confirmé, un bilan ophtalmologique chez l’ophtalmologiste est alors obligatoire pour réaliser un bilan étiologique complet
Chez un enfant avec antécédents (familiaux, prématurés, souffrance périnatale…)
*Un bilan orthoptique est recommandé entre 6 et 9 mois ou plus tôt en cas d’anomalie évidente
*Un bilan ophtalmologique systématique est recommandé avant 18 mois
Les principales anomalies
L’hypermétropie :
*Fréquente. Œil trop court.
*Compensée par l’accommodation.
*Responsable de fatigue visuelle et parfois de strabismes.
*Corrigée totalement ou partiellement selon les signes d’appels.
La Myopie :
*Hérédité ++. Prédictibilité impossible.
*Œil trop long, augmente avec l’âge.
*Flou de loin.
*Correction en lunettes, lentilles de contact, +/- chirurgie à l’âge adulte.
L’astigmatisme :
*Anomalie de courbure de la cornée (ballon de rugby).
*Même symptômes que les autres amétropies.
*Correction selon la symptomatologie.
Le strabisme :
*Les axes visuels convergent ou divergent.
*Chez l’enfant la « neutralisation » évite de voir double, le strabisme est donc un trouble inconscient.
*Traitement :
-Lunettes ++ pour éliminer le facteur accommodatif.
-Obtenir une alternance de fixation la plus spontanée possible pour éviter l’installation d’une amblyopie de l’œil dévié en cas de strabisme non alternant.
-Chirurgie si une déviation persiste.
L’amblyopie :
*Baisse visuelle liée au non-usage d’un œil. Elle est d’origine corticale. Le cerveau va progressivement « oublier » les images anormales transmises par un œil, en raison d’un strabisme, d’une amétropie unilatérale, d’une opacité des milieux ou d’une maladie organique. La correction du trouble causal doit être accompagnée d’une rééducation fonctionnelle pendant la période sensible = forcer le cortex à utiliser les images transmises par l’œil amblyope.
*Causes : anisométropies, strabismes, anomalie oculaire, nystagmus…
*Traitement :
-De la cause quand c’est possible et nécessaire
-Puis le traitement comporte deux phases indissociables :
-Phase de récupération = pénalisation du bon œil pour forcer le cortex à réapprendre. En général, on utilise des caches sur peau sur le « bon » œil. On vise à égaliser la vision des deux yeux, sans perte de vision du bon œil.
C’est la phase la plus difficile, car l’enfant est malvoyant en début de traitement, puisqu’il doit utiliser l’œil le moins bon.
Cette phase est d’autant plus efficace et courte que le traitement est pratiqué précocement, de manière agressive, et sans interruptions.
-Phase de consolidation = diminution progressive de la pénalisation pour éviter une récidive et maintenir les résultats obtenus en fin de phase de récupération. Plusieurs techniques sont utilisables : occlusion partielle, pénalisations sur lunettes…
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